29/02/2012

Les Adieux à la reine : au service de sa majesté déchue

Les Adieux à la reine : 4 / 5

Marie-Antoinette d'Autriche a toujours davantage nourri l'imagination populaire que Louis XVI, et a fait l'objet de nombreuses biographies littéraires comme cinématographiques. Peut-être parce qu'elle a symbolisé encore plus que son mari une royauté auto-satisfaite en décalage, vivant dans un luxe décomplexé et provoquant : pas étonnant que la sagesse populaire l'ait alors abusivement associé à la formule "Qu'ils mangent de la brioche !". Dans sa dernière incarnation cinématographique, Sofia Coppola en avait fait un de ces personnages emblématiques de son œuvre, une beauté solitaire et mélancolique : Marie-Antoinette brossait le portrait tragique d' une jeune femme dépassée par ses responsabilités. Le projet de la réalisatrice était de dépoussiérer le drame historique et de rendre ce personnage historique plus proche du spectateur compatissant par une mise en scène résolument moderne qui avait recours à une bande-son New Wave. Le passionnant Les Adieux à la reine, nouveau film de Benoit Jacquot adapté d'un roman de Chantal Thomas couronné du prix Femina 2002, choisit une approche tout aussi moderne mais radicalement différente pour évoquer l' "Autrichienne".




Les Adieux à la reine nous donne à voir Versailles au lendemain de la prise de la Bastille à travers les yeux de la lectrice de la reine. Benoit Jacquot change le personnage
quinquagénaire dans le roman, pour lui faire prendre les traits de Léa Seydoux, héritière de ses jeunes héroïnes incarnées par son actrice fétiche Isild Le Besco, ou plus tôt dans sa carrière par Judith Godrèche (La désenchantée) et Virginie Ledoyen  (La fille seule). Ce choix est dicté par le récit d'apprentissage d'une servante qui idolâtre la reine et est donc prête à tout pour la servir, dans un "état d'aveuglement et de lucidité entamée qui correspond à son âge" [1]. Profitant de ce beau rôle, la jeune Léa Seydoux fait preuve d'une présence et d'une énergie plus que convaincantes, qui débordent le cadre de la sage reconstitution costumée. Loin d'un cinéma historique figé, le film est à l'image d'une Marie-Antoinette brûlant d'une passion interdite, incarnée par une Diane Kruger que l'on a rarement vue aussi bonne. L'égoïsme de la reine, présenté dans toute sa cruauté, offre un contrechamp réjouissant à l'éloge naïf de fille riche qu'était Marie-Antoinette.


Loin de la langueur triste du film de Coppola, Les Adieux à la reine est une véritable plongée dans la crise vécue par Versailles, la peur panique devant la révolution qui gronde hors de ses murs, rendue par une mise en scène dynamique : mais là où d'autres auraient fait le choix attendu d'une caméra portée et chaotique, Benoit Jacquot chorégraphie magnifiquement son film, à l'image d'une marche dans un couloir de nuit interrompue régulièrement par une série de visages de nobles inquiets, effrayés par un tumulte social qui les condamne. L'impression d’immédiateté et d'instabilité tient dans des zooms récurrents, qui refusent l'installation d'un cadre esthétisant sûr. Le film bouillonne, faisant aussi sentir les corps sous les costumes dans un récit où les désirs sont primordiaux, de la première scène où Sidonie gratte les piqures de moustiques qui la démangent et chute dans la boue à la contemplation du corps nu de la favorite de la reine. Le souffle qui traverse ce film historique n'est pas sans rappeler le formidable L'Appolonide : souvenirs de la maison close, le hasard de la présence de Noémie Lvosky et Xavier Beauvois au casting ne faisant que renforcer ce lien. Réjouissons-nous donc que Benoit Jacquot comme Bertrand Bonnello puissent illustrer par leurs deux films la vitalité d'un cinéma d'époque dans les mains de cinéastes estampillés "auteurs".

[1] Propos tenus par Benoit Jacquot dans un entretien accordé à Positif et publié dans le numéro de mars de la revue.

1 commentaire:

  1. Excellente critique d'un beau film.
    Je l'ai relayée sur ma page Scoop It Actu Cinéma
    Le lien
    http://www.scoop.it/t/actu-cinema

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