12/02/2014

American Bluff : l'art du faux

4 / 5

On avait remarqué David O’Russell à la fin des années 90 avec les Rois du désert, qui contribuait à lancer définitivement la carrière de George Clooney au cinéma après quelques ratés. On l’avait ensuite un peu perdu de vue jusqu’à un retour au premier plan au début des années 2010 avec The Fighter, puis Happiness Therapy l’année dernière. Dans les deux cas, les Oscars et Golden Globes ont reconnu le talent de directeur d’acteurs de David O’Russell, en récompensant les seconds rôles du premier film et l’actrice principale du deuxième. Et le cinéaste porte manifestement un amour particulier à ses interprètes, ayant choisi de réunir en tête d’affiche d’ American Bluff deux des acteurs principaux de The Fighter et deux de Happiness Therapy. Le film de david O’Russell possède néanmoins un charme qui dépasse la simple juxtaposition des performances d’acteurs apparente.


Dès sa première scène, American Bluff expose deux de ses principaux atouts : le caractère haut en couleur de ses personnages et une reconstitution soignée des années 70. L’apparition de Christian Bale bouffi et à la chevelure éparse, ajustant un postiche grotesque, le décolleté plongeant  d’Amy Adams, les bouclettes de Bradley Cooper, sont autant de signes excessifs pointant vers un ton comique que le film va se plaire à explorer ; pour les années 70, un ralenti sur les personnages avançant au son de Steely Dan lors du générique suffit à nous plonger avec élégance dans l’époque. 

Si cette entrée en matière est réussie, elle n’en revêt pas moins un caractère un peu artificiel, qui s’avère assez vite problématique dans un premier temps. En effet, passée cette introduction in medias res, le film opère un retour en arrière par l’intermédiaire de la voix off du personnage principal incarné par Bale : le problème posé alors est celui de la reprise à l’identique d’une structure caractéristique aux films Martin Scorsese (initiée avec les Affranchis, reprise avec Casino et Le loup de Wall street). Le film de David O’Russell, malgré sa forme impeccable, ne pourrait éviter l’écueil de copie un peu artificielle s’il en restait au niveau de cette exposition un peu laborieuse.


American Bluff met donc une petite demi-heure à se mettre en place mais une fois lancé, il a le grand mérite de fonctionner crescendo, en redistribuant intelligemment à plusieurs reprise les rôles et enjeux d’une intrigue à base d’arnaques et de coups montés qui gagne en ampleur au fur et à mesure. Cette construction scénaristique habile  fonctionnerait cependant à vide si elle n’était pas portée par des protagonistes bien développés : le tour de force du métrage de David O’Russell est de nous faire éprouver de l’empathie pour des personnages qui nous apparaissaient d’abord comme des caricatures de comédie. Les protagonistes d’American Bluff ont tous une part insatisfaite, sont motivés par des rêves qui permettent au spectateur de s’identifier à tour de rôle à chacun d’entre eux. En cela, David O’ Russell se permet même peut-être de surpasser Scorsese, dont le dernier Le loup de Wall Street souffrait un peu d’être construit autour d’un antihéros certes haut en couleur mais pour lequel on avait du mal à éprouver la moindre compassion.

David O’Russell s’avère donc plus qu’un simple faussaire tentant de copier un maître incontesté du cinéma. Il se positionne d’avantage comme son héritier, par l’intermédiaire d’un caméo. Alors que Robert De Niro joue un chef mafieux, avec à la clef un un flash-back où l’acteur semble reprendre son rôle des Affranchis, la référence est trop évidente pour tromper les cinéphiles sur la marchandise, et la copie revendiquée devient alors hommage. La similitude entre la transformation physique  de Christian Bale pour American Bluff et celle de De Niro pour Raging Bull est du même ordre : en un échange de regards en gros plans, le témoin passe d’un acteur à l’autre. Certes la transition met un certain temps à s’opérer, mais elle aboutit à un métrage qui sait allier divertissement et qualité, porté par un scénario bien construit, une forme parfaite et une brochette d’acteurs au sommet.

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