01/03/2014

The Grand Budapest Hotel : le charme de la civilisation

4 / 5

Il y a une catégorie de cinéastes qui signent chacune de leurs œuvres de leur patte baroque reconnaissable entre toutes. Citons entre autres Federico Fellini, Tim Burton ou David Lynch. Wes Anderson fait partie de cette illustre lignée, et qu’on l’aime ou non force est de constater qu’il possède un style qui n’appartient qu’à lui. Pour moi, cette identité esthétique que l’on retrouve d’œuvre en œuvre a été la force du cinéma de Wes Anderson (par son originalité)  avant d’en devenir la faiblesse : après mon coup de cœur initial pour La famille Tenenbaum, le charme s’évanouissait avec chaque film suivant du réalisateur-scénariste. Il y a deux ans Moonrise Kingdom avait mis fin à ce désamour progressif, en revitalisant le style immuable d’Anderson par la fraicheur de l’histoire d’amour entre ses deux jeunes héros. The Grand Budapest Hotel, couronné de l’Ours d’argent au festival de Berlin, confirme cette vigueur retrouvée.


Comme La famille Tenenbaum, The Grand Budapest Hotel commence par l’ouverture d’un livre, œuvre originale dont nous allons supposément voir l’adaptation, en réalité purs artifices puisque les deux récits ont été conçus de toutes pièces par Wes Anderson. Mais là où La famille Tenenbaum se contentait de renvoyer à la source du livre illustré lu par une voix off non identifiée, le procédé à l’œuvre dans l’ouverture de The Grand Budapest Hotel est plus complexe, avec retours en arrière pareils à des poupées gigognes : dans une série de bons temporels, le récit est d’abord porté par l’auteur du livre, puis par son alter ego 20 ans plus tôt, avant de trouver sa source avec celui qui a vécu l’aventure au cœur du film. Soit donc les tribulations de Gustave H (Ralph Fiennes), concierge du   Grand Budapest Hotel, assisté de son protégé Zéro, tous deux plongés dans une sombre affaire de meurtre.

Par le biais du procédé narratif introductif, Wes Anderson établit une distance avec un monde disparu, une Europe de l’entre-deux guerres telle que l’a décrite l’autrichien Stefan Zweig (crédité au générique), représentée par la République imaginaire de Zubrowka. Gustave H est l’ambassadeur ce cette civilisation en voie de disparition, sur laquelle plane l’ombre du fascisme à venir : Ralph Fiennes, irrésistible, fait des merveilles dans le rôle de ce charmeur d’une sophistication ponctuée d’emportements brefs et hilarants. Autour de lui, le reste de la distribution n’est pas en reste, et Wes Anderson a l’intelligence de reléguer au second plan ses acteurs habituels (Owen Wilson, Bill Murray ou Jason Schwartzman ne font que des apparitions), sortant de la routine dans laquelle il semblait s’être enfermé fut un temps pour mettre en valeur de  nouveaux venus ou d’autres acteurs qu’il avait moins exploité par le passé. En tête du casting, Tony Revolori et Saoirse Ronan sont très attachants en jeunes premiers atypiques, tandis que Willem Dafoe est parfait en incarnation monstrueuse du mal à l’état pur.


En échangeant l’intimisme habituel de son cinéma pour un récit romanesque à péripéties multiples, Wes Anderson trouve une tension dramatique qui manquait souvent à ses précédents opus. Sa mise en scène semble se libérer et prendre une ampleur inédite dans une multitude de moments de bravoure cinématographiques : évasion de prison, poursuite inquiétante dans un musée désert, course sur des pistes olympiques, final spectaculaire à suspens.


Face aux qualités nombreuses de The Grand Budapest Hotel, le seul reproche que l’on pourrait faire à Wes Anderson est celui d’un style passéiste peu en prise avec le monde moderne. Comme Gustave H, Wes Anderson n’est certes pas un homme de son temps ;  mais à l’instar de Gustave H,  c’est peut-être cela même qui lui permet de nous éblouir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire