15/09/2015

Youth : vieillesse et artifices

3 / 5

Pour entamer un film s’appelant Youth, quoi de mieux qu’une chanson pop entraînante jouée live ? Le visage d’une jeune chanteuse, juchée sur une plateforme tournante avec l’arrière-plan qui défile derrière elle, résume efficacement l’énergie, l’effervescence de la jeunesse. On se demande cependant vite s’il n’y a pas une part d’ironie derrière le titre du dernier film de Paolo Sorrentino : Fred (Michael Caine) et Mick (Harvey Keitel), nos deux héros octogénaires, n’en sont plus au printemps de leur vie. Ces deux artistes envisagent cependant leur vieillesse différemment. Tandis que Mick, réalisateur toujours en activité, travaille sur son film testament, Fred refuse de sortir de sa retraite et de diriger comme chef d’orchestre une de ses compositions, pas même pour la famille royale d’Angleterre.


Après la Rome qu’il avait sublimée dans La Grande Belleza, Sorrentino plante cette fois-ci le décor international d’un hôtel de luxe des Alpes. Autour des deux protagonistes centraux gravitent la fille de Fred (Rachel Weisz), un acteur américain (Paul Dano), un alpiniste à la barbe foisonnante, un moine tibétain, une Miss Univers ou encore un sosie de Maradona. Cette communauté improbable aux accents surréalistes est à double tranchant. Fort de cette galerie foisonnante, Youth arrive à créer une ambiance singulière, entre comédie et drame, vulgaire et sublime. Mais tous ces éléments produisent également un effet de trop plein, de récit boursouflé.

Il faut aussi dire que la mise en scène manque considérablement de légèreté. Les excès esthétiques de La Grande Belleza lors des fêtes chaotiques auxquelles son héros prenait part étaient contrebalancés par l’élégance de moments à la mélancolie poétique tels que la visite de palais romains de nuit, à la lumière des bougies. Dans Youth l’esthétique est aussi poussée jusqu’à une laideur insupportable lors de la parodie d’un clip de pop cauchemardesque ; mais en contrepartie il y a peu de moments sublimes, les afféteries formelles jouant contre les scènes. Ainsi, alors que Mick hallucine l’apparition dans un champ du groupe d’héroïnes de sa filmographie, Sorrentino reprend dans une série de plans qui les introduit les caractéristiques visuelles des films dont elles sont issues, privilégiant l’artifice visuel à la simplicité de l’émotion.


C’est d’autant plus dommage que lorsque Paolo Sorrentino fait confiance au pouvoir d’expression de ses acteurs, on entrevoit la beauté émouvante qui aurait pu être celle de Youth. Michael Caine est d’une superbe retenue, trop content d’occuper à nouveau le centre de la scène après avoir joué les seconds rôles chez Christopher Nolan. Deux scènes parmi les plus réussies de Youth sont d’une économie de mise en scène exemplaire : le face à face d’anthologie entre Harvey Keitel et Jane Fonda est pratiquement filmé en simple champ-contrechamp, et l’intense monologue interprété par Rachel Weisz où se déverse tout le ressenti accumulé par sa fille contre Fred est capté par un gros plan sur le visage de l’actrice. Dans ces quelques moments, on peut rentrer dans un film qui peine à nous toucher malgré ses thèmes universels liés au passage du temps.

On ne peut s’empêcher de rapprocher la démarche artistique de Sorrentino de celle de Fellini. La Grande Belleza suivait les traces de La Dolce Vita, dans Youth l’hôtel de luxe et le personnage de Mick évoquent immanquablement 8 ½. Sorrentino parvenait dans le premier cas à retrouver la satire féroce et le désenchantement au cœur de la Palme d’or de 1960. Ici, il manque le caractère semi-autobiographique, entre souvenirs et rêves, qui faisait la sincérité et la force de 8 ½. Sorrentino clôt Youth sur un final musical en grande pompe dans une salle de concert et nous exhorte à être émus à l’instar de ses spectateurs. On ne ressent hélas rien face à cette musique grandiloquente chantée par une star de l’opéra, là où un thème de Nino Rota sur l’image d’un enfant jouant de la flûte seul sur une piste de cirque suffisait à nous bouleverser.

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