4 / 5
Plutôt
que dans le cinéma new-yorkais, Les
chansons que mes frères m’ont apprises confirme que les pistes les plus
intéressantes des films américains produits
en dehors de Hollywood sont à chercher aujourd’hui du côté de l’exploration d’autres
territoires sociaux et géographiques. Il
y a un peu plus de deux ans, l’éblouissant Les
Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin nous
plongeait dans une communauté de la Louisiane. Ici Chloé Zhao nous fait
découvrir le microcosme de la réserve indienne de Pine Ridge au Dakota du Sud.
Comme
Zeitlin, Chloé Zhao nous introduit à la communauté de son film à travers la
voix off de son personnage principal. Mais contrairement à la fillette
Hushpuppy, fière de résider dans le Bayou avec son père, Johnny est un
adolescent aux portes de l’âge adulte qui ne pense qu’à quitter la réserve où
il vit. Pire encore, il fournit de l’alcool en contrebande et contribue ainsi
au problème d’alcoolisme qui touche sa communauté. Johnny ne se sent pas
concerné par le devenir des natifs américains, et sa seule attache à son foyer
est sa sœur Jashaun. La cinéaste organise le récit autour de ces deux
protagonistes touchants, mais privilégie cependant une approche documentaire à
une solide structure narrative.
Marquée
par sa rencontre avec les Indiens de Pine Ridge, Zhao a en effet décidé de tourner
une fiction se déroulant dans la réserve écrite au jour le jour, en s’inspirant
du réel qui l’environnait. Il en résulte une impression de vivre au même rythme
que les Indiens du film, tous acteurs amateurs interprétant quasiment leurs
propres rôles. On se sent désemparé face à la dureté du quotidien de la
réserve, on est fasciné par les individus romanesques qu’on y rencontre tels un tatoueur artisan et artiste attaché aux traditions ou un ancien
alcoolique reconverti en prêtre. Entre les rodéos et les grands espaces
majestueux et sauvages du Dakota, Chloé Zhao convoque les images classiques de
la culture américaine mais les revitalise en nous les faisant percevoir du
point de vue des Indiens.
Au-delà du caractère socioculturel passionnant de ces Chansons, son auteure impressionne par la grande beauté de sa mise en scène au lyrisme évoquant le style de Terrence Malick. A la différence que là où le travail de son confrère cinéaste tend ces dernières années vers l’abstraction et l’ésotérisme, Zhao reste ancrée dans le quotidien de ses personnages. Le tableau social qu’elle brosse est alarmiste et cette dimension politique ne facilite pas l’exploitation du film aux Etats-Unis où aucune distribution n’est prévue à l’heure actuelle. C’est d’autant plus dommageable que Les chansons que les frères m’ont apprises est finalement porteur d’un magnifique message d’espoir, incarné par la jeune Jashaun fière de son identité, de la culture et de la tradition de son peuple. Le refus de l’assimilation culturelle brutale et forcée à laquelle ils ont été soumis, voilà une belle voie dans laquelle pourrait s’écrire l’avenir des natifs américains.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire