2,5 / 5
Le Yves Saint Laurent de Jalil Lespert sorti en début d’année avait
reçu l’approbation de Pierre Bergé, compagnon du couturier. Saint Laurent n’ayant pas reçu son aval,
on s’attendait à un film libre qui prendrait ses distances avec les conventions
contraignantes du « biopic ». La présence de Bertrand Bonello à la
tête du projet laissait espérer une œuvre qui renouerait avec le romanesque et
le lyrisme de l’envoûtant Apollonide :
Souvenirs de la maison close. Si Saint Laurent
respecte plutôt ces attentes artistiques, il n’en demeure pas moins décevant à
plus d’un titre.
On aperçoit une silhouette mince s’avancer
au guichet d’un hôtel en forte plongée, puis se présenter comme « Mr
Swann », alias emprunté à l’œuvre de Marcel Proust. Filmé à contrejour,
Saint Laurent fait ensuite le récit brutal de son internement dans un hôpital
où il aurait développé une dépendance aux drogues. La première appoche de la
figure publique se fait donc par sa voix, là où Lespert dévoilait assez vite le
visage grimé de Pierre Niney. Chez Bonello, la voix traînante et sensuelle de
Gaspard Ulliel introduit le spectateur à la face sombre et sulfureuse du
couturier artiste. Le premier plan de face sur lui le découvre inconscient dans
un terrain vague, dans une posture qui évoque le Orphée de Jean Cocteau.
Saint Laurent convoque ainsi toute une série de références
artistiques mais finalement, c’est surtout l’influence de Luchino Visconti qui
y est la plus frappante. Bonello reprend l’esthétique baroque et les
recadrages par zooms caractéristiques des derniers films du cinéaste italien,
et fait intervenir dans la dernière partie son acteur muse Helmut Berger pour
le faire interpréter un Yves Saint Laurent vieillissant. Ce jeu de références
cinéphiliques a beau être intriguant, il tourne malheureusement à vide et
éclipse le sujet du film. Ainsi, quel intérêt réel y a-t-il à faire regarder à
Helmut Berger un extrait des Damnés où
il jouait plus jeune ? Qu’est-ce
que cela nous dit sur Yves Saint Laurent ?
On objectera que le métrage de Bonello,
plus qu’un simple « biopic », est une réflexion sur le temps qui
passe dont le climax serait un télescopage vertigineux qui mélange époques,
rêve et réalité dans sa dernière partie. Le problème est qu’il y a alors bien
longtemps qu’on s’est désintéressé de la figure centrale du film, énième génie
dont les excès sont justifiés par la grandeur de son œuvre. Saint Laurent fait l’effet d’une belle
coquille vide et peine à donner la moindre chair à la galerie des personnages
qui gravitent autour du couturier, souvent à peine esquissés. A vouloir éviter
les pièges des biopics trop explicatifs, Bonello apporte trop peu d’éclairages
sur la vie de Saint Laurent et son film ressemble à un clip brillant étiré sur
deux heures. En assistant au défilé final (très long) des créations de
Saint Laurent, on se demande quelle est la valeur ajoutée de cette séquence par
rapport à un film d’entreprise ou une retransmission de « Fashion
TV ».
Certes Saint Laurent arrive à impressionner par
moments par sa maîtrise formelle mais son absence de réel récit en fait en bout
de ligne une œuvre vaniteuse et peu sympathique. Les biographies
extraordinaires réalisées par Ken Russell dans les années 70 ( La Symphonie pathétique, Le Messie sauvage, Mahler ) parvenaient à
être de véritables œuvres d’art atypiques tout en mettant à l’honneur les
artistes dont elles retracaient les destins de manière iconoclaste. C’est ce
souffle qu’on aurait aimé retrouver dans le dernier métrage de Bertrand Bonello
qui ne parvient malgré son esbrouffe qu’à susciter l’indifférence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire