3,5 / 5
Quel mal se tapit
derrière le décor paisible d’une banlieue pavillonnaire américaine ? C’est
la question que se posait David Lynch dans Blue
Velvet. La victime Isabella Rossellini y faisait irruption nue sur la
pelouse d’une maison et rompait la tranquillité. Dans une rupture similaire, It Follows s’ouvre sur la sortie
soudaine d’une jeune fille à peine habillée au crépuscule. L’hypothèse d’une
violence domestique est vite écartée, le père ébahi et soucieux laissant
partir sans réagir sa fille qui semble
fuir une présence invisible. La scène, filmée en un plan, est captée par une
caméra mobile, comme mue par une conscience que la musique rend inquiétante. La
jeune fille tétanisée s’isole sur une plage, et après une ellipse brutale on
découvre au petit matin le tableau macabre de son corps démembré.
La sauvagerie
de cette image en clôture de prologue va hanter le long métrage de David Robert
Mitchell, qui n’a par ailleurs que peu recours à de telles explosions de
violence. Le réalisateur préfère jouer d’une suggestion malaisante. Le
« it » ou « ça » en français qui poursuit les personnages,
comme le mal surnaturel chez Lynch, ne sera jamais pleinement explicité. Il est
protéiforme et ses motivations comme sa nature resteront en partie obscures. Cette
présence a quelque chose de l’inquiétante étrangeté freudienne, et elle emprunte
d’ailleurs volontiers la forme familière d’un proche pour s’attaquer à ses
proies.
Etrange et intriguant, It Follows l’est aussi par la forme.
Le film s’inscrit à un croisement stylistique stimulant entre Virgin Suicides et le cinéma de John
Carpenter. Du côté de Sofia Coppola, le métrage nous raconte les premiers émois
sentimentaux et sexuels de l’héroïne Jay et de la bande qui l’entoure dans une
ambiance éthérée à la douceur mélancolique que l’on retrouvait dans le premier
long métrage de Mitchell, The Myth of
the American Sleepover : la légende des soirées pyjamas. Mais la
caméra qui semble traquer les personnages, le thème de la contamination du mal
et la musique aux synthés minimalistes de Disasterpeace évoquent sans détours
l’auteur de Halloween et The Thing. It Follows renoue même avec la dimension politique de l’œuvre de
Carpenter en laissant apercevoir à nouveau, après Only Lovers Left Alive
l’année dernière, la désolation des quartiers les plus pauvres de Détroit.
Au-delà de ses
multiples références cinématographiques habilement digérées qui le rendent
passionnant, It Follows s’offre
comme une quintessence du cinéma d’horreur fantastique dont on ne s’étonne pas
qu’elle ait séduit le jury président par Christophe Gans au festival de
Gérardmer qui lui a décerné son Grand Prix. Le film de David Robert Mitchell
applique finalement de manière littérale la dualité qui sous-tend une grande
partie de ce genre, celle qui lie intimement le sexe et la mort. Cependant nul
voyeurisme à outrance ici mais plutôt le portrait intimiste et juste d’une
bande de jeunes adultes qui sonnent authentiques, interprétés par un casting
attachant. Alternant scènes de suspens à la mise en scène efficace et pauses
intimistes qui nous renvoient à nos hésitations de la fin de l’adolescence, It Follows convainc sur les deux
tableaux et réussit au final l’exploit peu commun d’être à la fois terrifiant
et touchant.
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