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Prix de la mise en scène au
dernier festival de Cannes, Foxcatcher
parvient à transcender son simple statut de film tiré d’une histoire vraie.
Alors que l’on pouvait craindre la reconstitution intéressante mais peu
cinématographique d’un fait divers, Bennet Miller emmène son métrage vers un
autre horizon en cultivant le mystère. Au final, on en ressort avec
l’impression d’avoir vu se dérouler devant nos yeux une fable d’essence
américaine.
Foxcatcher commence après une « success story », celle
des frères Schultz médaillés d’or en 1984, et nous dévoile l’envers peu
reluisant d’une gloire éphémère. Mark Schultz (Channing Tatum) semble en effet
peiner à tirer un quelconque profit d’une victoire dont on comprend vite
qu’elle lui est assez peu attribuée. Tête pensante de la fratrie, Dave Schultz
(Mark Ruffalo) gère quant à lui sa carrière de coach tout en tenant son rôle de
père de famille. La tension faite de non-dits dans la relation entre les deux
frères est vite palpable dans une scène de corps à corps vertigineux, entre
l’embrassade fraternelle et le combat agressif. Plutôt que d’expliciter
lourdement la psychologie des acteurs du drame, l’intelligence de Bennet Miller
est de choisir tout au long du film de concrétiser les rapports complexes qui
se tissent entre ses personnages dans des gestes ambivalents qu’il laisse le
spectateur interpréter à sa guise.
Foxcatcher saisit par le traitement physique surréaliste de son
trio de personnages principaux. Peu à peu semble en effet s’établir une curieuse
galerie de personnages animaux : la démarche bovine du massif Mark Schultz
s’oppose à l’agilité simiesque de Dave ; quant au milliardaire John du
Pont (Steve Carrel), ornithologue amateur, sa posture et son nez proéminent ont
tout de l’aigle auquel il se plaît à se
comparer. Cette référence à des animalités étrangères fait basculer le film du
côté du fantastique.
La propriété de John du Pont,
perdue dans les brumes du petit matin, a quelque chose du manoir hanté, habité
par la gloire passée d'une haute lignée dont John est le descendant grotesque.
Son pouvoir n'est qu'illusoire, acheté à grands coups de fortune familiale.
Organisé autour de cette figure bouffonne et vampirique, le film oscille de
façon indéterminée entre comique et tragique, suscitant un effet de malaise et
de tension constante. Ainsi, alors que John prépare Mark au discours par lequel
le lutteur va se placer de façon funeste sous la coupe du milliardaire, la
répétition mécanique d’une série de mots perd son sens pour devenir une formule
ridicule.
Foxcatcher est donc une farce tragique, alternant par ailleurs moments de bravoure de mise en scène physique avec des séquences de lutte impressionnantes de réalisme, et pauses oniriques. Bennet Miller joue de la rencontre de ces contrastes pour dénoncer le cynisme de l’Amérique des années Reagan. Ce n’est pas sans raison que le métrage se finit sur les mots « USA » scandés par une foule en délire qui résonne comme un coup de grâce après le tableau noir d’une société en perte de valeurs morales, où l’argent peut permettre de s’offrir une « success story » à l’artificialité dangereuse. Œuvre ambitieuse aux niveaux de lecture multiples, Foxcatcher est sans conteste le film américain le plus fascinant de ce début d’année.
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