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Pour son premier long métrage, le hongrois Laszlo Nemes n’a pas pris la
voie de la facilité. Si faire une fiction se déroulant dans le camp d’Auschwitz
pose déjà des problèmes de représentation évidents, le cinéaste trentenaire ne
s’arrête pas à cette difficulté. En choisissant de construire un récit autour
des Sonderkommandos, les déportés juifs chargés d’assister les nazis dans leur travail
d’extermination, Nemes se place au cœur de l’horreur de la Shoah. Nul doute que
l’ambition du projet lui a permis d’être sélectionné à Cannes, mais cette
exposition était à double tranchant. L’échec du film n’en aurait été que plus
retentissant. Le grand prix est au contraire venu saluer un des paris
esthétiques les plus courageux du festival, relevé haut la main.
Le fils de Saul n’est pas le premier film à traiter des camps de
concentration nazis. Qu’ajouter aux documentaires d’Alain Resnais et Claude
Lanzmann et à l’émouvant Liste de
Schindler ? Par rapport au mélodrame de Steven Spielberg, Laszlo Nemes se
distingue en refusant le principe d’un récit de survivants pour nous confronter
sans échappatoire à la mort industrialisée au cœur d’Auschwitz.
Embarqué aux côtés de Saul nous le voyons dès la première séquence
accompagner un groupe de déportés aux chambres à gaz. Le réalisateur nous
épargne l’image du massacre, nous laissant aux portes des chambres avec les
Sonderkommandos, mais les cris des victimes paniquées se font bel et bien
entendre, de plus en plus intenses. Face à cette monstruosité il y a le visage
de Saul presque impassible.
Alors qu’on assiste ensuite au nettoyage machinal des lieux par les
Sonderkommandos se pose la question de la déshumanisation de ses hommes qui
côtoient la mort au quotidien. Cependant un élément vient faire grain de sable
dans cette macabre routine. Un enfant s’accroche encore à la vie de sa
respiration faible et haletante. D’abord agglutinés atour du petit corps, les
hommes sont assez vite renvoyés à leur tâche par un SS qui achève le garçon.
C’est autour de cette exécution, filmée à distance du point de vue de Saul, que
Nemes va nous montrer ce qui peut rester d’humanité face à l’horreur.
Le fils de Saul fait se rencontrer deux formes de résistance. Il
y a d’abord celle qui appartient à l’Histoire, la tentative de rébellion armée
des Sonderkommandos qui s’organise au second plan et dans laquelle Saul va se
retrouver impliqué. Mais il y a surtout la quête individuelle du protagoniste
pour enterrer dignement le corps de l’enfant. En créant une dynamique de
conflit entre ces deux objectifs, Nemes se dégage de l’héroïsation
conventionnelle des films historiques. Mais si un des ses compagnons reproche à
Saul d’abandonner les vivants pour les morts, on aurait tort de réduire les
motivations de ce dernier à une folie obsessionnelle morbide.
Tout au long de son film, Laszlo Nemes installe un trouble autour de
l’identité de Saul, ne nous livre les éléments sur sa vie avant son arrivée au
camp qu’avec parcimonie. L’enfant mort est-il vraiment son fils comme il le
prétend ? Cette certitude importe moins que son projet par lequel il
affirme l’inefficacité du processus de déshumanisation mis en place par les SS
qui parlaient de « pièces » pour faire référence aux cadavres. Par sa
tentative d’offrir un service funéraire à un enfant, Saul honore ce mort tout
en se retrouvant pour lui-même une identité qu’il avait perdue au fil de sa
détention à Auschwitz.
Au-delà de son récit fort et emprunt d’humanité, Le fils de Saul impressionne par son esthétique. Nemes, qui a fait
ses armes en tant qu’assistant du brillant formaliste Bela Tarr, parvient à
retranscrire l’effroi des camps de concentration sans tomber dans l’obscénité.
Entre flous, bord cadres et hors-champs, le cinéaste nous dévoile les bribes de
l’usine de mort en laissant le reste au travail de notre imagination. On est
happés par le magma sonore du film, où l’on perçoit des bribes de conversations
dans diverses langues, ainsi que des chuchotements et des cris.
On saura gré à Nemes de ne pas avoir opté pour une esthétique facile d’immersion
pseudo-documentaire avec caméra tremblante, mais de composer savamment les
cadres dans les longs mouvements en plans séquence qui composent son film. La
séquence hallucinante où Saul cherche un rabbin de nuit dans le chaos d’une
foule sur le point d’être brûlée par les nazis rappelle les visions infernales
de Jérôme Bosch. Face à de tels tours de force, on ne peut qu’applaudir la
maîtrise de ce premier film qui se montre à la hauteur esthétique et morale de
ses ambitions.
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