12/12/2015

Jessica Jones : la face sombre et engagée de Marvel

3,5 / 5

Comme on a pu le voir il y a quelques mois, le bilan des adaptations Marvel au cinéma pour 2015 est franchement moyen. Il était en fait prévisible qu’une lassitude s’installe face aux exploits un rien répétitifs et interchangeables d’Iron Man, Captain America, Thor et consorts. La prépondérance de l’action sur la caractérisation des personnages crée au final une impression de blockbuster vide, sans aucune âme. Dans ce contexte, la très bonne série Daredevil proposait un changement de rythme salutaire, et on attendait avec impatience la seconde adaptation de Marvel pour Netflix. Sans atteindre complètement le niveau de réussite de son aînée, Jessica Jones reste plus que convaincante mais nous amène à nous poser une question. Peut on encore rattacher cette série au genre super-héroïque?


Avec Daredevil, on était déjà dans un univers réaliste de polar urbain bien distinct de ceux dans lesquels évoluent les superhéros Marvel sur grand écran. Malgré cet environnement, la série de Drew Goddard et Stephen D. Knight répondait encore aux codes du récit d’origines de héros masqué, entériné par l’introduction du costume du protagoniste éponyme en fin de première saison. La série de Melissa Rosenberg pose d’abord une ambiance de film noir assez proche de Daredevil ; Jessica Jones commente en off son travail de détective privée, qui consiste en majeure partie à prendre des photos d’adultères ou à rechercher des personnes disparues. Le premier épisode nous permet de nous familiariser avec le quotidien de l’héroïne campée par une Krysten Ritter impeccable, oscillant entre force et fragilité.

Jessica est misanthrope, boit beaucoup et a une vie sexuelle décomplexée. Libre de ton et mature, Jessica Jones est en fait une adaptation fidèle de l’esprit original du comics Alias de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos dont elle est tirée, créée pour la ligne MAX pour adultes de Marvel. Au cas où un doute planerait encore sur le public auquel s’adresse cette série Netflix, le final saisissant de macabre du premier épisode met les choses au clair. Toutes proportions gardées, Marvel nous livre avec Jessica Jones un thriller psychologique aux accents horrifiques.



Paranoïa, violences et traumatismes, tels sont les thèmes principaux d’un récit dont le point central est un antagoniste qui provoque à la fois l’angoisse et la fascination. Incarné par un David Tennant à la présence exceptionnelle, Kilgrave est doté d’un pouvoir dont la composante terrifiante n’a pas échappé aux auteurs de Jessica Jones. Comme pour le Wilson Fisk de Daredevil, on prend pleine mesure de l’avantage considérable que constitue un long format pour le développement de "méchants" qui écrasent sans effort ceux de l’univers cinématographique Marvel.

La présence prépondérante de Kilgrave dès le début de la série assure une belle cohérence à ses treize épisodes, mais  constitue malheureusement aussi sa limite. Jessica Jones pose peut-être ses enjeux dramatiques un peu trop tôt et ses ressorts narratifs en viennent à se répéter à la longue. Devant quelques intrigues secondaires peu convaincantes, surtout une construite autour d’une voisine de Jessica insupportable, on se dit que la série aurait gagné à être plus brève.



Loin d’être parfaite, la série de Melissa Rosenberg n’en remplit pas moins largement son contrat. La construction de l’univers Marvel Netflix, plus terre à terre que son pendant cinématographique, se poursuit avec l’introduction de personnages secondaires charismatiques tels que Luke Cage, qui aura droit à sa série l’année prochaine, et Patsy Walker, destinée à devenir l’héroïne Hellcat. Si un projet comme Les défenseurs, qui réunira à terme tous les héros de cet univers, peut faire redouter une perte de finesse d’écriture et de caractérisation, la tonalité intimiste est du plus bel effet sur Daredevil et Jessica Jones.



Qu'en est-il de la promesse d’une héroïne forte, dont l’univers Marvel est cruellement en manque ? Jessica Jones ne déçoit pas non plus de ce côté, et se permet même un discours “girl power”.  Les victimes de la violence dans la série sont en effet principalement les femmes, et les deux héroïnes traumatisées en ont fait les frais. Jessica est hantée par une domination passée qui l’a poussée à commettre l’irréparable, Patsy s’isole chez elle, enfermée à double tour. On ne peut être ensuite qu’ exaltés par le récit de la trajectoire ascendante de ces femmes, leur refus de vivre dans la peur et leur défense des opprimés. Après le très plaisant Agent Carter, Marvel se risque donc une nouvelle fois avec succès au féminisme en marge des grands écrans, où s’écrit un avenir moins balisé et d’autant plus stimulant.


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