Django Unchained : 3 / 5
Les Huit Salopards : 4 / 5
Un homme danse sur une chanson
entrainante des années 70 avant d’arracher au rasoir l’oreille d’un autre. Deux
ennemis se retrouvent attachés dans une cave, aux mains de sadiques. Une femme
dans le coma, sur le point de se faire violer, reprend conscience et fracasse
la tête de son agresseur à coups de porte. Les membres de jeunes femmes
s’envolent suite à leur crash automobile avec un tueur psychopathe. La
filmographie de Quentin Tarantino est ponctuée de scènes à la violence
insoutenable, que le cinéaste a longtemps défendues par leur aspect esthétique.
Son exploration du western, amorcée avec Django
Unchained et poursuivie avec Les Huit Salopards, ne lésine pas non plus sur
les cadavres mais le cinéaste semble néanmoins vouloir y développer une
réflexion plus poussée. Quelle serait alors l’éthique de la violence selon
Tarantino ?
Pour la première fois chez son
auteur, Django Unchained prenait en
compte le traumatisme du spectateur faisant face à la cruauté. La mariée de Kill Bill, tout comme les héroïnes de la
seconde partie de Boulevard de la Mort,
étaient certes marquées, mais par une violence dont elles avaient été
directement les victimes. Loin d’être un saint,
le chasseur de primes Schultz (Christoph Waltz) n’en était pas moins
révolté par l’esclavage en vigueur dans le Sud des Etats-Unis à la veille de la
guerre de Sécession. Spectateur de la mise à mort sauvage d’un esclave
déchiqueté par des chiens, il était ensuite hanté par les images de la scène
alors que s’établissait un accord forcé à l’amiable avec son bourreau, le
propriétaire de plantation Calvin Candie (Leonardo DiCaprio). Tandis que Candie
faisait mine de s’étonner de la réaction de révulsion de Schultz devant
l’exécution de son esclave, Django (Jamie Foxx) lui avait répondu « Il
n’est pas autant habitué aux américains que je le suis ». A la source des
poussées de violence se trouverait donc selon Tarantino la culture américaine,
l’histoire des Etats-Unis. Rien d’étonnant alors à ce que le chef des
américains vengeurs envoyés pour tuer les nazis dans Inglorious Basterds exige des scalps pour motiver ses troupes.
Qu’est-ce qui différencie Schultz des natifs de son pays d’adoption ? L’allemand sait se montrer impitoyable aussi, mais agit dans le cadre de la loi. Les exécutions qu’il enchaîne peuvent paraître sommaires, mais elles sont justifiées par les autorisations gouvernementales qu’il porte sur lui. Schultz gagne simplement sa vie en traquant les criminels et si son code de conduite n’est pas sans ambivalence, le personnage finit sans mal par incarner la civilisation et la culture en contraste avec l’environnement dans lequel il évolue. Tandis qu’il est un des personnages les plus attachants de la filmographie de Tarantino, Candie en est à l’opposé un de ses plus abjects. Dans un effet de miroir inversé par rapport à Schultz, le propriétaire sudiste se voudrait un représentant de la haute culture, mais n’est en réalité qu’un usurpateur. Il exige qu’on l’appelle « Monsieur » mais ne parle pas français, nomme un de ses esclaves D’artagnan mais ignore jusqu’au nom d’Alexandre Dumas.
C’est finalement le manque de culture de Candie qui cause sa perte lorsqu’il exige par la coutume que Schultz lui serre la main sous peine de tuer la femme de Django qui a fait l’objet de leur transaction. La coutume ne peut faire loi, et ce travestissement est la porte ouverte aux règlements de compte sanglants qui forment le dernier acte de Django Unchained. On en revient alors à une violence décomplexée, et ce retour constitue une véritable déception à la vision du film, comme un retour à un stade que Tarantino semblait avoir dépassé. La violence de l’esclavage peut-elle justifier le massacre vengeur des classes qui en ont profité, décrit comme une catharsis par le cinéaste ? Pas sûr.
Avec Les Huit Salopards, le cinéaste signe cependant un western bien plus posé que son précédent opus, et impose même un changement de rythme dans sa filmographie. Signe de rupture, l’éclectisme propre aux compilations qui servent habituellement de bandes sons à ses métrages laisse ici à quelques exceptions près la place à une partition originale composée par Ennio Moricone. Si l’ouverture du film et ses plans de paysages enneigés majestueux évoquent le style opératique de Sergio Leone, c’est en fin de compte de la version de The Thing de John Carpenter, aussi mise en musique par Moricone, que le cinéphile Tarantino s’inspire le plus ici. Le cadre des Etats-Unis de l’après guerre de Sécession y sert de terreau fertile à une paranoïa qui prend toute son ampleur dans le décor réduit d’une diligence puis d’une mercerie.
Moins ébouriffante que par le passé, l’écriture de Tarantino se montre cependant toute aussi brillante dans un système répétitif qui remet sans cesse en question l’identité des personnages et la véracité de leurs affirmations. Par rapport à Django Unchained, Les Huit Salopards montre l’inefficacité de la justice par la loi. Pour les salopards éponymes du métrage, ruser par rapport aux restreintes imposées par le droit est un art dans lequel ils sont passés maîtres. Afin de tuer, on s’arrange pour provoquer une situation de légitime défense ou on opère discrètement par l’intermédiaire d’un poison qui fait prendre au film des allures de roman à énigme à la Agatha Christie.
L'entente semble d’autant plus difficile à atteindre entre les personnages des Huit Salopards que le passé sanglant est toujours nimbé d’incertitudes. Alors que le nordiste John Ruth (Kurt Russell) accuse l’ancien membre d’une milice sudiste (Walton Goggins) d’avoir massacré femmes et enfants, ce dernier s’offusque et évoque la propagande mensongère de Washington. Il répond par le récit de l’incendie provoqué par le « héros » nordiste Warren (Samuel L. Jackson, impérial) dans lequel ont péri les soldats des deux camps, face obscure et extrémiste de celui qui était perçu jusqu’alors comme un exemple à suivre, reconnu comme un pair par Abraham Lincoln. Dans ce monde de faux semblants, comment ramener la paix sociale ?
Tarantino répond en introduisant une figure de bouc émissaire, avec toute l’ambivalence que cela induit car on ne saura jamais exactement quel a été son crime. Il n’est pas innocent que le générique de début se fasse sur un long travelling descendant d’un Christ tandis que le film se clôt sur un mouvement ascendant inverse vers la victime du sacrifice ; on laisse alors les personnages survivants à évoquer un idéal d’harmonie et de fraternité très lointain, aux antipodes du bain de sang auquel nous venons d’assister. « Il n’y en a pas beaucoup qui reviendront à la maison » chante Roy Orbison en guise de conclusion mélancolique, comme un constat d’échec. Pour les salopards, pas de salut ni de rédemption possibles.
Qu’est-ce qui différencie Schultz des natifs de son pays d’adoption ? L’allemand sait se montrer impitoyable aussi, mais agit dans le cadre de la loi. Les exécutions qu’il enchaîne peuvent paraître sommaires, mais elles sont justifiées par les autorisations gouvernementales qu’il porte sur lui. Schultz gagne simplement sa vie en traquant les criminels et si son code de conduite n’est pas sans ambivalence, le personnage finit sans mal par incarner la civilisation et la culture en contraste avec l’environnement dans lequel il évolue. Tandis qu’il est un des personnages les plus attachants de la filmographie de Tarantino, Candie en est à l’opposé un de ses plus abjects. Dans un effet de miroir inversé par rapport à Schultz, le propriétaire sudiste se voudrait un représentant de la haute culture, mais n’est en réalité qu’un usurpateur. Il exige qu’on l’appelle « Monsieur » mais ne parle pas français, nomme un de ses esclaves D’artagnan mais ignore jusqu’au nom d’Alexandre Dumas.
C’est finalement le manque de culture de Candie qui cause sa perte lorsqu’il exige par la coutume que Schultz lui serre la main sous peine de tuer la femme de Django qui a fait l’objet de leur transaction. La coutume ne peut faire loi, et ce travestissement est la porte ouverte aux règlements de compte sanglants qui forment le dernier acte de Django Unchained. On en revient alors à une violence décomplexée, et ce retour constitue une véritable déception à la vision du film, comme un retour à un stade que Tarantino semblait avoir dépassé. La violence de l’esclavage peut-elle justifier le massacre vengeur des classes qui en ont profité, décrit comme une catharsis par le cinéaste ? Pas sûr.
Avec Les Huit Salopards, le cinéaste signe cependant un western bien plus posé que son précédent opus, et impose même un changement de rythme dans sa filmographie. Signe de rupture, l’éclectisme propre aux compilations qui servent habituellement de bandes sons à ses métrages laisse ici à quelques exceptions près la place à une partition originale composée par Ennio Moricone. Si l’ouverture du film et ses plans de paysages enneigés majestueux évoquent le style opératique de Sergio Leone, c’est en fin de compte de la version de The Thing de John Carpenter, aussi mise en musique par Moricone, que le cinéphile Tarantino s’inspire le plus ici. Le cadre des Etats-Unis de l’après guerre de Sécession y sert de terreau fertile à une paranoïa qui prend toute son ampleur dans le décor réduit d’une diligence puis d’une mercerie.
Moins ébouriffante que par le passé, l’écriture de Tarantino se montre cependant toute aussi brillante dans un système répétitif qui remet sans cesse en question l’identité des personnages et la véracité de leurs affirmations. Par rapport à Django Unchained, Les Huit Salopards montre l’inefficacité de la justice par la loi. Pour les salopards éponymes du métrage, ruser par rapport aux restreintes imposées par le droit est un art dans lequel ils sont passés maîtres. Afin de tuer, on s’arrange pour provoquer une situation de légitime défense ou on opère discrètement par l’intermédiaire d’un poison qui fait prendre au film des allures de roman à énigme à la Agatha Christie.
L'entente semble d’autant plus difficile à atteindre entre les personnages des Huit Salopards que le passé sanglant est toujours nimbé d’incertitudes. Alors que le nordiste John Ruth (Kurt Russell) accuse l’ancien membre d’une milice sudiste (Walton Goggins) d’avoir massacré femmes et enfants, ce dernier s’offusque et évoque la propagande mensongère de Washington. Il répond par le récit de l’incendie provoqué par le « héros » nordiste Warren (Samuel L. Jackson, impérial) dans lequel ont péri les soldats des deux camps, face obscure et extrémiste de celui qui était perçu jusqu’alors comme un exemple à suivre, reconnu comme un pair par Abraham Lincoln. Dans ce monde de faux semblants, comment ramener la paix sociale ?
Tarantino répond en introduisant une figure de bouc émissaire, avec toute l’ambivalence que cela induit car on ne saura jamais exactement quel a été son crime. Il n’est pas innocent que le générique de début se fasse sur un long travelling descendant d’un Christ tandis que le film se clôt sur un mouvement ascendant inverse vers la victime du sacrifice ; on laisse alors les personnages survivants à évoquer un idéal d’harmonie et de fraternité très lointain, aux antipodes du bain de sang auquel nous venons d’assister. « Il n’y en a pas beaucoup qui reviendront à la maison » chante Roy Orbison en guise de conclusion mélancolique, comme un constat d’échec. Pour les salopards, pas de salut ni de rédemption possibles.
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